Par le biais de programmes culturels à Gesgapegiag, Quentin Condo cherche une balance entre tradition et modernité. Rene Martin transmet volontiers son savoir-faire et Joe Wilmot oeuvre en culture à Listiguj.
L'enregistrement, l'écriture et la traduction des passages en mi'gmaq ont été réalisés par Joe Wilmot.
À titre de leader au sein de ma communauté, l’une de mes priorités consiste à trouver un équilibre entre les normes d’aujourd’hui, l’économie et les différences culturelles. J’estime que certains de ces projets cadrent avec cette priorité. Le village autochtone sur lequel nous travaillons va créer des emplois, attirer des touristes et nous donner l’occasion de donner notre point de vue. Les gens pourront ainsi gagner de l’argent tout en faisant rouler l’économie.
Je crois que nous avons trouvé un nouvel équilibre : pratiquer notre culture tout en générant des profits, que ce soit en construisant des canots en écorce de bouleau, en confectionnant des paniers, en préparant des billes de bois ou en cultivant différentes plantes médicinales. Mon objectif est de parvenir à un tel équilibre, sinon l’économie va primer sur tout le reste ce qui risque de mettre nos coutumes en péril.
One of my priorities, being a leader in my community, is to find that balance between current-day standards, the economy, maintaining a balance between cultures. That’s why I believe some of these projects fall into that balance. This Indian Village we’re working on, it’s going to provide jobs, it’s going to be a tourist attraction and gives us the opportunity to tell our side of the story. While doing all of this, people are able to make money so they’re still part of the economy.
I think it’s a new balance that we’ve found: practicing our culture while making some money; building the birch bark canoes, basket making, preparing the logs, harvesting different medicines for instance. My goal is to find that balance because if we don’t, the economy becomes the priority and if we keep doing that, we lose our own ways.
Je suis fasciné par ma propre culture, par le mode de vie de notre peuple sur ces mêmes terres il y a cinq siècles. C’est incroyable de penser qu’ils vivaient dans des habitations en écorce de bouleau et se déplaçaient en traîneau à chiens, en canot et en raquettes. Je pratique toujours ces activités pour me divertir et me rapprocher de mes origines, mais j’habite dans une très belle maison et je conduis une voiture très confortable. Vous ne me verrez pas me rendre à mes réunions à Québec en traîneau à chiens. Être réaliste, ce n’est pas être moins autochtone pour autant.
J’ai la peau très pâle, les cheveux blonds et les yeux verts, mais je reste mi’gmaq. Ce n’est pas la couleur de votre peau ni de vos yeux qui détermine votre appartenance à une nation. Les Français et les Anglais ont beau se ressembler, il n’en reste pas moins qu’ils ont deux cultures complètement différentes : ils ont leur propre langue, leurs propres croyances et traditions, et c’est ce qui fait d’eux un peuple. Je ne me sens pas moins mi’gmaq que l’homme à la peau brune et aux cheveux noirs à mes côtés. On m’a élevé comme un Mi’gmaq, j’adhère aux croyances mi’gmaq, je pense comme un Mi’gmaq; voilà ce qui fait de moi un Mi’gmaq.
I’m fascinated by my own culture. About the ways our people lived five thousand years ago on the same territory. It’s incredible to think that they lived in birch bark covered homes and their means of transportation was dog and toboggan, canoes, snowshoes… and I still do those things today as a sport, as an activity and to be closer to my culture but I live in a very nice home and I drive a very comfortable vehicle. You won’t see me using a dog sled to get to my meetings in Quebec. We have to be realistic and it doesn’t mean you are any less Indian.
Myself, I have a very pale skin, blond hair and I have green eyes, but I’m Mi’gmaq. It’s not the color of your skin or of your eyes that makes you a part of a Nation. The French and the English people, they look the same but they’re completely different cultures: they have their own language, beliefs, traditions, and that’s what makes a people. I don’t feel any less Mi’gmaq than the man standing next to me who’s brown with black hair. I grew up Mi’gmaq, I’m Mi’gmaq, my beliefs are Mi’gmaq, I think Mi’gmaq, and that’s what makes me who I am, that’s how I will be defined as Mi’gmaq.
Voici l’un des projets actuellement en cours au sein de la communauté. Il s’inscrit dans le cadre des programmes culturels interreliés offerts dans notre village autochtone. René Martin montre à huit membres de la communauté comment étirer, écharner et dépiler les peaux pour faire de la peau crue. Dans un autre cours, on pourra la transformer en lanières et tresser des raquettes. On peut également l’utiliser pour confectionner des tambours et d’autres objets similaires.
Ici, vous avez un canot en écorce de bouleau fabriqué dans l’un des cours offerts grâce à la collaboration de Patrimoine canadien. Dans le village touristique que nous mettons sur pied, il sera possible de louer ce type d’embarcation, de même que des wigwams que nous construisons également à partir d’écorce de bouleau. Plutôt que de simplement contempler nos œuvres artisanales dans des vitrines, le visiteur pourra en faire pleinement l’expérience. Une promenade dans un canot en écorce de bouleau confectionné par le peuple mi’gmaq lui permettra de s’imprégner davantage de la culture que s’il regardait simplement une photo ou lisait à ce sujet. Cela permet au touriste de prendre contact avec notre culture, de l’expérimenter et ainsi de mieux connaître qui nous sommes.
This is one of the projects that we have ongoing in the community. It’s one of the cultural programs that are going to tie in our Indian village. Eight individuals from the community are learning from Rene Martin how to do the stretching of the hides and defleshing and taking the fur off, and the final product is going to be rawhide. With that rawhide we can strip it to make snowshoes, which will be for another course after. We could also use the hide to make drums and other things like that. It’s one of the programs that are going to link into other programs down the line. Hopefully by the springtime we could have another course put together. This is the way to ensure that our practices are not lost. It’s way to tie in a new age economy. People have got to work and it’s a way to maintain our heritage at the same time; it’s a good balance.
You see over here a birch bark canoe that was built in one of our courses made possible through Canadian Heritage. In the village we’re putting up together, that tourist attraction, birch bark canoes are also going to be available to rent. Individuals will be able to rent a wigwam that we’re building, which will also be birch bark covered. This way it gives them a chance not just to go and see pieces of the art from our culture on a shelf, they’re going to gain an appreciation for it, they’re going to be able to experience it. By going out in a birch bark canoe made by Mi’gmaq people, you get to experience the culture more than you would, just seeing it in a picture or reading about it or seeing it on a shelf. This enables the individuals to go out there, be a part of the culture, experience it and gain a better understanding of who we are.
Programmes culturels – Gegina’masultimg ta’n telo’ltimg’pneg
Des programmes spéciaux sont actuellement offerts au sein de la communauté. On les appelle « programmes culturels » parce qu’ils portent sur des activités traditionnelles. Dans l’un d’entre eux, les membres de la communauté préparent des peaux pour fabriquer différents objets, comme des raquettes et des tambours.
Avant de confectionner de tels objets, il faut d’abord transformer la peau. On commence par tendre la peau pour retirer la fourrure, action qui se nomme « pesqo’tun » en mi’gmaq. Aujourd’hui, on retire la fourrure à l’aide de ciseaux, mais on a longtemps utilisé le « naltugopgi’gn », sorte de grattoir fabriqué à partir de l’os de la patte arrière d’un orignal.
Cultural programs – Gegina’masultimg ta’n telo’ltimg’pneg
Special programs are currently running in the community. We call them cultural programs because they involve traditional activities. As part of one of them, people from the community are preparing the skin to make various objects such as showshoes and drums.
To prepare what’s needed in order to make showshoes or drums, we got to transform animal skin into raw hide. First we’ll stretch out the skin to cut off the fur. pesqo’tun is the action of removing the fur in the Mi’gmaq language. Now we’re using scissors to do that, but before we used the naltugopgi’gn, a kind of scraper made from the hind leg bone of a moose.
Je m’efforce de demeurer fidèle à ma culture et de montrer aux autres les méthodes traditionnelles de confectionner des porte-bébés, des tambours, des vêtements, de la babiche d’orignal et de chevreuil, toutes sortes d’objets fabriqués à partir de peaux. J’enseigne comment faire des canots, parfois à des villages entiers. Aucun objet autochtone n’a de secret pour moi.
– Qu’est-ce qui différencie la nation Mi’gmaq des autres nations ?
Nos canots sont courbés pour nous permettre de naviguer sur l’océan, alors que les autres les font droits. Il y a une dizaine d’années, je me suis rendu au Musée canadien des civilisations pour montrer comment faire un canot en écorce de bouleau. Comme il a plu toute la semaine, je n’ai rien pu faire, à part montrer des photos du processus de fabrication. À l’époque, je commençais tout juste. Par la suite, je me suis rendu à Terre-Neuve, où j’ai conçu un canot en écorce de bouleau qui a traversé l’océan.
I try to stick with my culture and show other people the old ways of doing cradleboards, drums, clothing, moose hide, deer hide, all kinds of skin work. I show others how to make canoes, even whole villages. Anything that’s Indian, I could show how it’s done.
– What distinguishes your nation from others?
We have hump on our canoe for the ocean and the others are just straight. Maybe about ten or twelve years ago, I went to the Museum of Civilization in Ottawa (Gatineau) to demonstrate how to make a birch bark canoe. When I got there it rained all week so I couldn’t do anything, just show photos of how it’s done. At that time, I was just getting into it. After that I went to Newfoundland and I made a birch bark canoe that crossed the ocean.
Nombre d’activités traditionnelles requièrent des matières premières. Par exemple, pour fabriquer un canot, il nous faut du bouleau blanc et de l’écorce, qu’on appelle respectivement « Nimnoqn » et « Masgwi » en mi’gmaq. Pour confectionner certains objets, nous utilisons de la peau d’orignal et de caribou, qui se prononcent « Tia’m » et « GALIPU ».
Nous confectionnons plusieurs objets traditionnels, notamment des raquettes (« Na’sguaq »), des tambours (« Pepgijete’gn ») et des canots (« Gwitnn »).
La hache a plusieurs utilités. On s’en sert évidemment pour couper des arbres, mais aussi pour préparer des planches, sculpter, dégrossir le bois... On utilise le mot « Tmi’gn » pour désigner une hache en mi’gmaq.
Le couteau croche est un outil polyvalent. Tout homme devrait en posséder ou s’en confectionner un.
Cet instrument s’appelle « Wa’qi’gn » en mi’gmaq.
Outre le couteau et la hache, nos activités traditionnelles font également appel à d’autres outils, qu’on nomme « Lugowaqane’l ».
Many traditional activities ask for basic materials. For example, to make canoe, we need to use birch and birch bark. Mi’gmaq words for them are Nimnoqn (white birch tree) and Masgwi (birch bark). For some other objects, we’ll use moose or caribou skin. Moose is Tia’m and caribou is Galipu in Mi’gmaq.
Traditional objects that we still create are showshoes (Na’sguaq), drums (Pepgijete’gn) and canoes (Gwitnn) just to name a few.
We use the axe for a lot of things: to cut down trees obviously, but also to prepare wooden planks, to carve, rough-hew… Tmi’gn is how we name the axe in Mi’gmaq.
The crooked knife is a versatile tool. Every man should have his own, should make his own. Crooked knife is Wa’qi’gn in Mi’gmaq.
In addition to the knife and the axe, other tools are used in traditional activities: Lugowaqane’l – for tools.
Voici ma hache et les principaux outils que j’utilise.
Celui-ci sert à faire des trous dans l’écorce, et lorsqu’on le retire, l’écorce se referme.
Si l’on versait de l’eau dessus, on la verrait s’évacuer. J’utilise de la résine d’épinette fondue mélangée à de la graisse d’ours ou du saindoux pur pour obtenir une substance souple et collante que j’applique ensuite sur le canot pour le sceller et l’imperméabiliser.
Celui-ci, c’est moi qui l’ai conçu, et je montre aux élèves comment fabriquer leurs propres outils. Pour faire un couteau croche, il suffit d’utiliser une barre plate et de faire chauffer la lame à haute température pour la courber. On utilise le couteau croche pour fabriquer les membrures et le bordage du canot.
These are my major tools and my axe.
This one is for making the holes in the bark, and when you pull it out, the bark will close up.
If you’d put water on there, you’d see it drains it. I use spruce gum melted down and mixed with bear grease or pure lard to make a flexible and sticky tar to put on the canoe to seal it and make it waterproof.
I made this one and I show students how to make there own tools. And the crooked knife—just use a flat bar and put a lot of heat on to bend it. The crooked knife is used when you make canoe ribs and sheathing.
Étirement de la peau – Siptaqpilm’g m’gegn
Écharnage de la peau – pesa’tu’n m’gegn
Dépilage de la peau – pesqo’tu’n sapun
Peau crue (pour fabriquer des raquettes et des tambours) – m’gegn
Outils – Lugowaqane’l
Couteau croche – wa’qi’gn
Plane – pu’tlaqanseweg
Perforation de l’écorce à l’aide d’une alêne – sa’pign
Hache – tmi’gn
Graisse d’ours + résine d’épinette (mélange pour l’imperméabilisation du canot) – mui’nu’mi + pugowij wiaqa’tas’g
Stretching up the hide – Siptaqpilm’g m’gegn
Defleshing the hide – pesa’tu’n m’gegn
Taking the fur off the hide – pesqo’tu’n sapun
Rawhide (to make snowshoes and drums) – m’gegn
Tools – Lugowaqane’l
Crooked knife – wa’qi’gn
Drawknife – pu’tlaqanseweg
Punching holes in bark with an awl/punch – sa’pign
Axe – tmi’gn
Bear grease + spruce gum (mix for waterproofing canoe) – mui’nu’mi + pugowij wiaqa’tas’g
– Est-ce que les membres de la communauté parlent toujours la langue?
Oui. Lorsque je visite d’autres réserves, c’est toujours elle que nous utilisons. La langue commence à se perdre parce que nos enfants en ont désormais trois. Ils comprennent un peu le mi’gmaq, mais ne veulent pas le parler, puisqu’ils maîtrisent déjà le français et l’anglais. On leur apprend les trois langues à l’école.
– People are still speaking the language in the community?
Yes. And when I go to the other reserves, we always use it. Right now we are starting to lose it because our kids have three languages. They understand Mi’gmaq a little bit but they don’t want to talk it. They talk French and English. At school they get the three languages.
Aujourd’hui, seuls nous, les aînés, parlons encore la langue, mais nous ne la transmettons plus comme avant. C’est ma langue maternelle, celle de mon enfance. L’anglais est ma deuxième langue, que j’ai apprise à l’âge de six ou sept ans. Une transition s’est amorcée vers la fin des années 1950 et le début des années 1960. Puis, à partir de 1970, on a pu observer un déclin constant : seuls 60 à 70 % d’entre nous pouvaient parler et comprendre la langue. En 2000, ce taux a chuté sous la barre des 20 %. Je suis plutôt pessimiste lorsqu’il est question de la langue, mais à l’heure actuelle, j’estime que tout au plus 10 % d’entre nous la parlent toujours. Le nombre de locuteurs diminue rapidement. Aucun de nos enfants ne la parle.
Nous bénéficions désormais de programmes linguistiques très poussés au Cap-Breton. Si notre langue devait disparaître de notre collectivité relativement unique en son genre, nous n’aurions d’autre choix que d’apprendre et d’adopter celle du Cap-Breton. Notre langue disparaît à un rythme alarmant.
You see, all the elders who are still speaking the language, we’re not passing it on like in the old days. I grew up with the language, that's my first language. English is my second language, which I learned at about six or seven years old. Late 50s, early 60s a transition happened. Then, by 1970 there was a steady decline: maybe only about 60%-70% [of us] speaking the language and understanding it. By the year 2000 we're down to 20% or less. And right now, like I said I’m a pessimist when it comes to the language, we’re maybe around 10% or less: it's going away fast. None of our children are speaking the language.
We are getting to that point where we have very strong language programs in Cape Breton. If our language disappears in our community, which is fairly unique, we will have to learn the language of Cape Breton and bring it back. Our language is fast disappearing.
– Parlez-vous toujours la langue?
Je ne parle presque pas et ne comprends que très peu. Le problème remonte à la génération de mes parents. Le mi’gmaq est la langue maternelle de mon père, mais il a dû apprendre l’anglais et le français. C’était difficile pour lui, sachant que c’est un monde de Blancs. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il ne m’avait pas enseigné le mi’gmaq à la maison, il m’a répondu que je devais maîtriser la langue des Blancs.
– Do you still speak the language?
I understand very little, I don’t speak much of it. That comes from our parents, from their generation. My father’s first language is Mi’gmaq, he had to learn English and French. That was difficult for him, considering it’s a white man’s world. When I asked him, “Why didn’t you speak Mi’gmaq to me, in the house, so I could learn?” He told me I had to master the white man’s language.
Avant l’arrivée des Européens (plus particulièrement des Français), nos ancêtres s’appelaient eux-mêmes « Nnu’G », ou encore « elnu’g ». On retrouve encore ces appellations chez nos voisins. Il y a généralement une variante introduite par « NNU », comme Innu, Inuit, « Ggijinu », etc.
Or, lorsque les Français ont essayé d’apprendre notre langue pour faire du commerce, on leur a enseigné « NI’GMAQ » pour désigner « ma famille » ou « mes amis ». Ces derniers ont probablement compris « MI’GMAQ », qui est ensuite devenu « Mi’gmaq » jusqu’à la fin du siècle dernier, où nous avons repris « MI’GMAQ », qui s’apparente davantage au terme original NI’GMAQ, qui signifie « mes proches » ou « mes amis ».
Before our ancestors made contact with the Europeans (the French in particular), they called themselves ‘Nnu’g or even elnu’g. You can still see that in our neighbors. There is usually a variation of ‘Nnu’, like Innu, Inuit or ‘Ggijinu, etc.
But when the French explorers arrived trying to learn our language for trade, the explanation for “my family” or “friends” given to them was: Ni’gmaq. It must have come across as Mi’gmaq which became Micmac over the years and it stayed that way until late last century when we changed to Mi’gmaq which is closer to our original Ni’gmaq – my kin or friends.